De SAFF à Valéo («Je vais bien» en latin)
Fleuron de l'industrie rémoise pendant des décennies, Chausson Outillages s'est éteint en 2007, après cinquante années passées à fabriquer des pièces de carrosserie pour les géants de l'automobile. Un clap de fin durement vécu à l'époque par les 184 salariés encore en poste au sein des locaux situés rue du Colonel-Charbonneaux, dans la zone industrielle Colbert. Victime comme d'autres d'une concurrence devenue mondiale, l'usine rémoise a tout de même compté jusqu'à 1 500 salariés dans les années 1970.
Eugène Buisson est depuis 1910 le distributeur et agent exclusif en France des produits de friction de la société anglaise Ferodo (Ferodo ltd). Il dépose des brevets d'inventions en 1922 et, en 1923, il crée la Société anonyme française du Ferodo (SAFF) et ouvre une usine à Saint-Ouen pour produire des garnitures de freins et d’embrayages sous licence de Ferodo. La société absorbe, en 1927, la filature d'amiante de Condé (Normandie). En 1928, elle fusionne avec La Plastose, son fournisseur de résines phénoliques et poudres de moulage, qui possède des usines à Niort, Saint-Ouen et Cahan en Normandie. La SAFF internalise ainsi la chaîne complète de fabrication de garnitures de freins : les tissus d'amiante sont imprégnés de vernis à base de résines phénoliques et sont façonnés pour former des garnitures tissées. En 1934, la SAFF absorbe son concurrent fabricant de garnitures Flertex, dont l'usine est située à Épinay-sur-Seine.
En 1932, la société dirigée par Jacques Vandier «élargit son activité à la production d’embrayages et la SAFF entre en bourse». La SAFF poursuit sa croissance externe, et acquiert en 1943, le site de Rochefort-Andouillé (Mayenne) de la Compagnie française de l'amiante du Cap, créée par Frédéric Chaplet, dont l'activité de filature de tissus d'amiante est transférée en 1953 à Condé-sur-Noireau (Normandie). En 1952 est créée l'Union de Fabricants de garnitures (UFAGA) pour réunir deux acquisitions récentes de concurrents, Hersot et Nafra, spécialisés dans les garnitures de freins. La SAFF achète la Société française de l'amiante à Viry-Châtillon en 1956. Ainsi, «dans les années 50, l’entreprise se modernise et se développe hors de la région parisienne en construisant de nouvelles usines, notamment en Normandie (garnitures de friction) et à Amiens (embrayages). En 1953, l’entreprise a 30 ans. Les embrayages, dont la technologie est en constante évolution, deviennent sa première activité.»
À partir des années 1960, la société commence à se diversifier : systèmes thermiques (1962), composants, systèmes et équipements électroniques (1963), éclairage et systèmes électriques (à partir de 1970). Ces développements se font notamment par la prise de contrôle de groupes eux-mêmes déjà importants et parfois diversifiés comme Paris-Rhône (équipements électriques), SEV Marchal (éclairage, équipements électriques, essuyage), Cibié (éclairage, signalisation), Ducellier (éclairage, équipements électriques, essuyage), Chausson thermique (chauffage et refroidissement), Neiman (sécurité, éclairage, signalisation) ou Labinal (équipements électriques). Elle se lance aussi dans des activités hors automobile (éléments de construction préfabriqués, ponts pour véhicules utilitaires) par la prise de contrôle d'entreprises spécialisées, mais, après plusieurs années de volonté d'intégration, ces activités ont été cédées.
Le 28 mai 1980, la société prend le nom de Valeo («Je vais bien» en latin), ce nom étant à l'époque celui de la filiale italienne du groupe SAFF et hors du secteur automobile. En 1986, l'ingénieur Carlo De Benedetti, par l'intermédiaire de son groupe CIR, prend le contrôle de Valeo pour un montant de cent milliards de lires, attirant l'attention du monde industriel et financier italo-français. De Benedetti aurait empêché un renforcement de la position allemande dans Valeo, un problème, selon les articles de l'époque, étant donné les fortes relations industrielles entre Valeo et le groupe FIAT, l'un de ses principaux clients. Dix ans plus tard, en 1996, le groupe De Benedetti doit céder Valeo au français CGIP, sous la pression de ses principaux clients, Peugeot-Citroën et Renault, pour un montant d'environ 2 000 milliards de lires. Une opération réalisée à un moment où quasiment aucune entreprise européenne du secteur n'était en mesure de racheter Valeo : l'allemand Bosch en raison de la législation anti-monopole, le britannique Lucas en raison de ses problèmes financiers. Seuls deux grands groupes, tous deux américains, étaient intéressés : la filiale composants de General Motors et TRW, à l'époque leader mondial dans la fabrication d'airbags. Les constructeurs français y ont cependant opposé leur veto, menaçant de retirer Valeo de leur liste de fournisseurs en cas de passage aux mains d'une entreprise américaine.
Le 17 décembre 2008, Valeo annonce qu'il va supprimer 5 000 emplois dans le monde ; dont 1 600 en France. En décembre 2015, Valeo rachète les entreprises allemandes Peiker et Spheros. Le 31 octobre 2017, Valeo réalise l'acquisition de FTE pour 819 millions d'euros, une entreprise allemande spécialisée dans la production de boîte de vitesses. Valeo a, par ailleurs, annoncé la signature d'un accord avec Siemens pour le rachat de la participation de 50 % détenue par Siemens dans Valeo Siemens eAutomotive. Après le 1er juillet 2022, Valeo intégrera 100 % de Valeo Siemens eAutomotive au sein de son activité Systèmes de Propulsion.
En janvier 2024, le groupe Valeo annonce vouloir supprimer 1 150 postes dans le monde dont 735 en Europe et 235 en France. En novembre 2024, Valeo annonce une réduction encore plus importante de ses effectifs : 866 postes seront supprimés et deux sites fermés. Le bilan pourrait même atteindre près de 1 300 suppressions de poste si les salariés refusent certaines mobilités, selon Force Ouvrière.
Depuis le 24 octobre, une majeure partie des salariés titulaires, 90 % d’entre eux d’après l’intersyndicale, débraye pour s’opposer aux nouvelles conditions de travail mises en place par la direction. Cet allongement du temps de travail aurait été mis en place à la suite d’un problème de pièces défectueuses, qui pourraient présenter un risque auprès des constructeurs automobiles. Outre leurs huit heures de travail effectif par jour, ces salariés de l’équipementier automobile doivent effectuer des heures supplémentaires tous les jours, même sur leur jour de repos du lundi et pendant le week-end pour certains. Il leur a aussi été demandé de travailler les 1er et 11 novembre, jours fériés. Pour compenser, les grévistes souhaiteraient une prime de 150 euros par mois jusqu’à la fin de cette période d’efforts et une prime de 500 euros en fin d’année. Mais la seule contrepartie proposée par la direction serait de revaloriser de dix euros le montant mis à disposition des équipes pour le repas de fin d’année, qui passerait à 30 euros par salarié.
L’amiante, l’autre sujet qui fâche
Alors que 398 salariés et ex-salariés rémois de Valeo espéraient que leur exposition à l’amiante sur leur lieu de travail entre 1960 et 1997 soit enfin reconnue, le conseil des prud’hommes de Rambouillet en a récemment décidé autrement. Il a été considéré que la reconnaissance du préjudice d’anxiété demandée par les plaignants ne pouvait être actée, car ils ont engagé leur procédure judiciaire après le délai de prescription qu’ils devaient respecter. Les intéressés contestent et comptent faire appel de cette décision.
97 emplois du site rémois vont être supprimés
97 des 323 emplois du site rémois de Valeo vont être supprimés «d’ici quelques mois», a-t-on appris de source syndicale, mercredi 27 novembre 2024. À l’aube du XXIe siècle, le site rémois spécialisé dans les systèmes électroniques et d’éclairage comptait près de 2 000 salariés. Dix fois plus que ceux qui devraient subsister d’ici quelques mois. «On va devenir un désert industriel…», soupire encore notre interlocuteur.
Les salariés ont bien coché dans leur agenda la date du mercredi 11 décembre où débuteront, sur le site de Valeo Reims, les négociations avec la direction et où devraient être connus précisément les postes menacés. D’ici là, aucune action concrète n’est prévue par les syndicats.