Dans le Lot, le samedi 5 août, deux gendarmes ont débarqué sur le marché de la petite commune de Lalbenque à la recherche d’un épouvantail fabriqué par un enfant de 10 ans. Deux gendarmes en uniforme sont venus exiger sa disparition de l’espace public
Jean-Yves est un postier d’un petit village du Lot, la droiture d’un balai, la régularité d’une horloge. Bien sous tous rapports, il cache aussi une face plus sombre puisque anarchiste. Le postier punk arbore de larges lunettes de soleil, de la ferraille autour du cou, une crête jaune hirsute, porte un jean troué et un grand tee-shirt noir avec une inscription «ACAB», pour «All cops are bastards» (littéralement «Tous les flics sont des bâtards»), qui, plus qu’elle ne dénonce chacun des policiers, dénonce le système policier. Jean-Yves est tellement anarchiste, qu’il s’est même attiré les foudres de la gendarmerie de son village, Lalbenque, dans le Lot.
Jean-Yves est un épouvantail, fait d’un vieux jean recyclé, d’une marmite en émail usée et directement issu de l’imagination d’un petit garçon de 10 ans. Il a été présenté aux habitant·es de Lalbenque lors d’un concours d’épouvantails dans le cadre du festival culturel occitan, Estiv’oc. Le dernier jour du festival, sur le marché de Lalbenque où Jean-Yves concourait pour la place du meilleur épouvantail du village, ce sont des gendarmes bien réels qui sont venus, sur demande de leur hiérarchie, réprimer un manche à balai. Joséphine, l’épouvantail féministe qui retrouve une seconde jeunesse après la mort de son mari, et Julia, qui adore effrayer les oiseaux et écouter les chansons de Daniel Balavoine n’ont, elles, pas été inquiétées par les services de gendarmerie.
Entre les courgettes, les tomates et les savons, les passant·es s’arrêtent, sourient, lâchent parfois un petit commentaire sur les épouvantails et continuent leurs courses. L’un d’eux, visiblement courroucé, s’arrête au stand du festival et se présente comme policier en civil. Avant de partir, celui qui se présente comme un policier en civil aurait lancé : «Si les gendarmes passent là, ils peuvent vous contrôler et vous mettre un procès-verbal.» Quelques heures plus tard, effectivement, deux gendarmes de Lalbenque arrivent.
La venue des gendarmes jure un peu avec l’ambiance bon enfant de la fin du marché, alors que les maraîchers rangent leurs étals, les enfants boivent du jus de pomme et les adultes du cidre, tous se partagent quelques bonbons et des chips. Ils sont une petite quinzaine à venir fêter la fin du concours d’épouvantails, les prix ont été distribués, les enfants s’amusent entre eux et leurs parents prennent des nouvelles des voisins et des amis. «Et là, les gendarmes demandent sérieusement à voir l’épouvantail, comme s’ils étaient à la recherche d’une vraie personne, c’était grotesque». «Ils sont arrivés de manière très hostile. Ils nous assurent que des gens sur le marché ont été choqués. Je ne suis pas sûre du pluriel…» La scène devient rocambolesque : les gendarmes somment une bénévole de lire à haute voix ce qu’il y a écrit sur le tee-shirt de Jean-Yves, désormais au centre de toutes les attentions. Ils lui demandent si elle sait ce que ça veut dire puis s’agacent, le ton monte. «Ils disent que c’est très grave, un appel à la haine, ils m’ont dit qu’il y aurait sûrement des suites à “ça” et qu’ils attendaient la décision de leur hiérarchie…»
«Je leur ai rappelé qu’ils parlaient d’un épouvantail, une caricature créée par un petit garçon, en référence à une BD. Je suis montée en pression parce que, vu le contexte, les violences policières qui se sont décuplées depuis la mort de Nahel… De constater que, même dans notre village de 1 800 habitants au fin fond du Lot, on pouvait palper cette autorité-là, cette volonté de censure, c’était extrêmement énervant. On était tous très choqués.»
Reste qu’à Lalbenque, l’épouvantail qui a gagné le concours cette année est Jean-Yves, avec 34 voix sur 80. Son créateur a reçu les félicitations de ses camarades, un sachet de bonbons, des produits d’artisans locaux et, indirectement, les réprimandes des gendarmes.