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11 janvier 2017 3 11 /01 /janvier /2017 13:01
A propos de la mort de Denko ou le parcours du combattant

Alors que la France est confrontée depuis quelques années à l’arrivée sur son territoire de mineurs isolés étrangers (MIE), la prolifération de discours sécuritaires, voire xénophobes, «affolant» l’opinion publique, provoque un climat de suspicion généralisée à l’encontre de ces jeunes dont le droit fondamental le plus élémentaire est celui d’obtenir une protection de la part des autorités (article 20 de la Convention relative aux droits de l’enfant - CIDE -).

Le climat de suspicion entretenu à l’encontre des MIE est au demeurant fondé sur des considérations totalement fantasmatiques. Dans ce contexte inquiétant, le Défenseur des droits, par une décision du 19 décembre 2012, avait déjà fait part de ses préoccupations, en ce qui concerne l’accueil, l’évaluation et l’accompagnement des MIE, formulant 15 recommandations à l’attention de la garde des sceaux.

Il existe trois critères pour qu’un jeune soit qualifié de MIE : c’est une personne mineure, incapable juridiquement, autrement dit un «enfant» au sens de l’article 1er de la CIDE, c’est une personne isolée donc vulnérable du fait de l’absence ou de l’éloignement de ses représentants légaux et c’est accessoirement un étranger ne disposant pas des avantages propres aux nationaux.

Le parcours du combattant

Selon RESF, Denko Sissoko était arrivé en France en octobre 2016, après un voyage long et périlleux en partance du Mali en passant par la Libye et l’Italie ; il aimait rire, bavarder, écouter de la musique africaine. Il a attendu 1 an et demi en Italie de réunir l’argent nécessaire pour rejoindre la France.

Selon le procureur de la République, Denko est né le 2 mars 2000 au Mali. Il s’est présenté en France, au commissariat de Reims, le 3 novembre 2016. Il a fourni un acte de naissance malien attestant de cette identité.

«Les policiers appellent le conseil départemental. Le jeune homme sera accueilli en urgence au foyer d’enfance de Reims». Le décret d’application du Code de l’Action Sociale et des Familles du 24 juin 2016 prévoit que : «Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d’urgence d’une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l’article L. 223-2.». Il est prévu, en vertu du décret du 24 juin 2016 : «Au cours de la période d’accueil provisoire d’urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement.» Cet accueil provisoire est financé par l’Etat sur la base d’un montant forfaitaire de 250 euros par jeune et par jour. Il s’agit là d’une répartition des coûts générés par l’accueil des mineurs isolés étrangers entre l’Etat et les administrations locales.

«…puis transféré au foyer Bellevue de Châlons-en-Champagne. Le 22 novembre 2016, dix-neuf jours après son arrivée, il est orienté vers le Service d’accompagnement des mineurs isolés étrangers». L’évaluation de la situation de l’intéressé n’a pas abouti dans le délai de l’accueil provisoire (5 jours) : le Procureur de la République doit alors prononcer une Ordonnance de placement provisoire (OPP) afin d’assurer une protection à l’intéressé le temps nécessaire à la poursuite des investigations aux fins d’établissement de sa situation. Une saisine du Juge des Enfants par le Procureur de la République doit intervenir dans un délai de 8 jours. On passe d’une protection administrative à une protection judiciaire provisoire par le Procureur de la République sur le fondement de l’article 375-5 du Code Civil.

«Le protocole national a été respecté. Afin de savoir s’il doit bien prendre en charge ce mineur, le conseil départemental réalise une évaluation non médicale, sur la base d’entretiens. Au cours d’un entretien, apparaît un doute sur son identité réelle et sur sa minorité. Celui-ci conduit le conseil départemental à indiquer au jeune garçon, le 21 décembre, que, sur la base des entretiens, ils pensent qu’il n’est possiblement pas mineur, mais majeur. Ils lui annoncent qu’ils vont transférer ses papiers à la Police aux frontières (PAF) pour une étude sur l’authenticité des documents. Ce sont des procédures courantes, qui concernent tous les mineurs». Le décret du 24 juin 2016 ne précise pas les modalités quant à la poursuite d’investigation au-delà de l’OPP du parquet. Désormais, en son annexe 4 relative aux conditions de saisine du préfet aux fins de vérification des documents présentés à l’appui des demandes de prise en charge, la circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 prévoit que : «En cas de doute sur l’âge de l’intéressé, la saisine rapide des services de l’Etat par les Conseils départementaux dans la période des 5 premiers jours de mise à l’abri permettra de procéder à une évaluation de la minorité dans les meilleurs délais. Les réponses aux demandes devront être apportées dans les délais les plus brefs, avec pour objectif de s’inscrire dans ce délai de cinq jours, prolongé le cas échéant par une ordonnance de placement provisoire de huit jours. Afin de contribuer à cette évaluation, les préfectures de département, saisies par le conseil départemental, apporteront, par la mobilisation des compétences des services de l’Etat, une expertise en matière de fraude documentaire.». Selon le procureur, l’enquête était toujours en cours.

Apparemment, le test osseux (appelé dans les textes expertise médico-légale), contesté par le Défenseur des droits, ne lui a pas été appliqué.

 

Tout ce parcours pour mourir à Châlons-en-Champagne

Le 6 janvier 2017, Denko a été retrouvé mort sur le bitume devant le foyer. Selon RESF, «Ses camarades sont formels : Denko n’était pas malade, ni drogué, ni fou. Son geste n’est pas celui d’un dépressif. Ce n’était pas non plus un criminel, ni un malfrat, il n’avait rien à se reprocher. Il s’est jeté du 8ème parce que, comme un jeune de 16 ans, moralement très structuré et qui a, en outre, assimilé l’impératif et la mission de réussir en France, il n’aurait pas supporté l’idée humiliante qu’on vienne l’arrêter et le mettre en prison.»

«Il a encore attendu 2 mois et demi à Châlons dans les services de la protection de l’enfance qu’on l’évalue puis qu’on lui signifie que sa minorité n’était pas reconnue et qu’il ne serait pas pris en charge. Il l’avait appris la veille. Ne sachant pas où aller, il n’aurait pas voulu quitter le foyer. Dans ces cas-là, la police est sollicitée…». Ce que conteste le procureur.

Sur le fonctionnement du Samie

Le Service d’accompagnement des mineurs isolés étrangers (Samie) a été créé par le Conseil Départemental de la Marne en 2015. Sa gestion a été confiée à une association habilitée. Quelle est sa mission ? On n’en sait rien (les missions varient d’un Samie à l’autre, dans les départements où ils existent). Il a reçu environ 400 mineurs en 2016. Tout ce qu’on sait, c’est que pour accueillir 73 jeunes, il n’y avait que 4 éducateurs pour s’en occuper jusque 18 h et seulement les jours ouvrés (donc pas le week-end) et pas de veilleurs de nuit. Seul un gardien pour l’ensemble du foyer de 8 étages qui accueillent au total 192 personnes. Est-ce cela l’aide sociale à l’enfance ?

 

Vu qu’il n’existe aucun chiffre fiable sur le nombre de mineurs isolés étrangers, ils sont estimés à 8 000, dont 3 000 pour le seul département de Mayotte. Une goutte d’eau lorsqu’on sait que 288 300 jeunes (chiffres 2012) dépendent de l’aide sociale à l’enfance (ASE) dont le financement revient aux conseils départementaux. L’Etat se dédouane de ses responsabilités, au nom de la lutte contre l’immigration clandestine, les conseils départementaux trient et rejettent par souci d’économies budgétaires. Denko est une nouvelle victime d’un système absurde.

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