La "guerre de l’eau" à Aubigny repose sur une histoire de sous. Certains villageois n’acceptent pas que leur eau ne leur rapporte pas plus d’argent. Sur ce point, la justice leur a donné tort pendant dix ans, en se basant sur une convention de 1935, autorisant Charleville à puiser son eau à Aubigny. Chaque jour, c'est 5 000 m3 qui prennent la direction de l'agglomération de Charleville-Mézières.
Cette guerre de l’eau qui n’en finit pas d’éclabousser les Ardennes pourrait faire une nouvelle "victime" : l’entreprise Canélia, filiale de Lactalis, à Rouvroy-sur-Audry. Son projet d’extension à 6,5 millions d’euros, très gourmand en eau, a besoin de 1 000 m3 par jour. Si les 5,5 kilomètres de canalisation entre Rouvroy et la source ne sont pas livrés comme convenu, Boris Ravignon dit déjà craindre que le leader mondial du lait «file voir ailleurs».
Ils ont mis leur menace à exécution. Ils sont passés à l’action hier aux aurores. Avec comme armes une poignée d’engins agricoles (une vachère, une benne, etc.), quelques habitants ont bloqué les accès au site de la Grande fontaine, source souterraine qui alimente près d’un tiers des foyers ardennais. En arrivant sur place, les employés de l’entreprise Colas ont constaté qu’ils ne pouvaient poser aucun de leurs tuyaux en fonte.
Les membres de l’association de défense de la Grande fontaine d’Aubigny-les-Pothées, qui se font appeler les «bonnets verts» en référence aux bonnets rouges bretons, estiment qu’ils sont «pris pour des idiots. On prend notre patrimoine sans rien nous donner en échange !». La vice-présidente du collectif a fait part de ses revendications. «On exige une table ronde avec le préfet des Ardennes et Boris Ravignon, pour trouver un arrangement à l’amiable et avoir une enveloppe, une indemnité financière».
À la demande de l’entreprise, un huissier a constaté les faits et une procédure judiciaire a été engagée. Le préfet des Ardennes tout comme le responsable du chantier font planer la menace d’une intervention des forces de l’ordre, tout en appelant au calme et au dialogue. Pour le préfet, «le droit doit s’appliquer. La justice a été saisie pour obtenir le concours de la force publique. Mais je préfère en appeler à la raison. Ma porte est ouverte pour recevoir ceux qui bloquent le chantier. À ce jour, je n’ai aucune demande de leur part». Président de la Grande agglo, Boris Ravignon «regrette qu’on prenne en otage un projet économique, au détriment d’une entreprise et des éleveurs, dont certains vivent même à Aubigny. Le danger, c’est que Lactalis renonce et file voir ailleurs. La situation est en train de devenir préoccupante. La justice a toujours débouté le village, et ça lui a coûté déjà très cher en procédures. Je mets en garde les personnes qui enfreignent la loi : leur blocage est illégal. La justice a été saisie. J’appelle chacun à la raison. J’ai écrit au maire la semaine dernière pour qu’on se voie. Je n’ai pas eu de réponse».