Sous des formes différentes, la lutte de classe s’affirme, en Europe et dans le monde, contre les «réformes» des gouvernants et possédants et contre leurs conséquences. Les travailleurs et les couches sociales exploitées et opprimées se rassemblent ou cherchent à se rassembler contre capitalistes et oligarques, tous aux commandes des mêmes plans d’austérité, quels qu’en soient les auteurs : Macron en France ou Salvini en Italie. Ainsi, début février, l’Italie comme la France était le théâtre de grandes manifestations anti-gouvernementales. Ce qui montre, par ailleurs, que les étiquettes opposant "progressistes" et "populistes", telles qu’utilisées par Macron dans ses discours sur l’Europe n’ont guère de pertinence quand il s’agit de juger des politiques économiques et sociales des gouvernements ; tous se retrouvent confrontés aux résistances de classe. Dès novembre, en Belgique des Gilets Jaunes manifestent contre le carnage social, en Bulgarie en vêtement bleu et quelques gilets jaunes contre la flambée des prix du carburant et des taxes, en décembre à la Haye, à Maastricht sur les difficultés à boucler les fins de mois, en Grèce des Gilets Jaunes solidaires des GJ français et en Catalogne pour le blocage du pays ... Manifs contre le pouvoir en place en Serbie (Belgrade) et en Hongrie, notamment à Budapest contre une loi sur les heures supplémentaires, appelée loi esclavagiste ... Mais le capitalisme ne connaît pas de frontières, on peut en toute tranquillité continuer à exploiter le continent africain au nom des nouvelles technologies, du progrès mais aussi d’un mépris colonial pour les peuples africains.
Le capitalisme a toujours eu deux visages. Le libéralisme absolu pour les uns, les propriétaires des moyens de production et du capital, et l’ordre pour les autres de ne pas entraver la marche d’accumulation et de concentration des richesses produites par les travailleurs. Le capitalisme ne craint pas les contradictions avec un Etat à son service par le mensonge, les fausses promesses et la répression pour mater la masse sociale productive et laisser toute liberté aux capitaux. Le pouvoir de l’Etat dans les régimes dictatoriaux industriels est l’instrument régalien de répression, contrôle, discrimination, exclusion, domination de classe. L’arme fatale dont il dispose est la loi, moyen efficace pour mettre «hors-la-loi» toute tentative d’insurrection, de révolte et d’insoumission. La légalité face à la légitimité. On peut tuer, tirer sur les manifestants car c’est légal mais on ne doit pas secourir des travailleurs immigrés qui risquent de mourir de froid ou de noyade, là c’est illégal.
Mais que valent les lois quand la légitimité du régime est contestée ?
Le pouvoir suprême en Vème République n’a de sens qu’appuyé par les grands commis de l’Etat, les très hauts fonctionnaires -hauts, non pas par leur compétences mais par leurs salaires et pouvoirs à la tête des administrations publiques-. Ils sont en place dès leur sortie des grandes écoles et restent à ces fonctions dirigeantes à vie, passant d’un pôle administratif à l’autre avec quelques passages au gouvernement. Serviles, ils sont trop bien payés pour ne pas l’être, tant et si bien que Hollande a dû faire voter un plafonnement à ne pas dépasser de 450 000 € par an, on ne sait si c’est avec ou sans primes ! En tout cas leur salaire médian est de 150 000€ par an, soit 12 500 € par mois. Leur rôle est de gérer les finances publiques, les politiques sociales, les administrations d’Etat et les agences affiliées : cela va de la SNCF, à Pôle Emploi, à la formation professionnelle, la Banque de France, les impôts, etc. Et ce sont bien eux qui élaborent les économies à faire sur le dos des plus nombreux, des moins riches, ces pôvres qui coûtent «un pognon de dingue», ces «bénéficiaires» de l’aumône publique !
D’un côté le libéralisme le plus sauvage, féroce, et d’un autre la répression et le contrôle de plus en plus musclés afin de faire entrer dans les clous la population insurgée par la restriction des libertés individuelles et collectives. L’Etat ne tolère pas l’opposition, ni les débats contradictoires et c’est donc lui qui organise et gère ce fameux grand débat pour encadrer les quelques voix qui ne veulent pas se taire. Reste à dénigrer l’ensemble du mouvement des Gilets Jaunes qui ont été traités de fachos, d’homophobes, de sexistes, racistes, casseurs, anti-démocratiques et dernièrement d’antisémites. Et cela avec l’appui efficace des médias car, comme le disent clairement l’économiste Elie Cohen et le politologue Gérard Grunberg : «Les journalistes doivent se rappeler qu’ils ne sont pas de simples observateurs mais qu’ils font partie des élites dont le rôle est aussi de préserver le pays du chaos.» En effet quand les classes populaires investissent l’espace public et ne désarment pas après plus de trois mois d’actions et manifs en tout genre et en tous lieux, le risque du chaos semble réel et la peur change alors de camp.
Mais que veulent-ils donc, que veut le peuple ? Et d’abord c’est quoi, c’est qui le peuple ? Tout dépend qui le nomme. C’est l’inverse de l’élite bourgeoise mais on le reconnaît aisément à son compte bancaire qui se vide à chaque fin de mois. Pour être premier de cordée, dirigeant d’entreprises publiques, politiciens au pouvoir, il faut tout d’abord être du bon côté, celui des riches. C’est une définition assez basique mais celle-là ne trompe pas !
Condamné à la mal-bouffe, aux dépenses obligatoires comme Internet et smartphone à cause de la disparition des services de base de la Poste, des impôts, CAF, Pôle Emploi, etc., ce peuple en a assez de trop courber l’échine à compter ses maigres sous quand, par la magie des infos diffusées sur le net, il connaît la fortune et les bénéfices engrangés par ces «aristocrates» qui gouvernent et dirigent. On le nomme aussi la majorité silencieuse, invisible, d’où émergent beaucoup de femmes qui se disent en colère, précarisées, discriminées et révoltées et qui se singularisent au milieu du mouvement des GJ et mènent des manifs spécifiques à Paris, Agen, Nice, Nîmes, Caen, Lyon, St Etienne, Toulouse , …
La révolte, il n’y a que cela, debout, dehors dans la rue et tout en jaune pour que tout le monde voie bien que la colère est grande et diffuse. Hors des habituelles rhétoriques politiciennes, l’exigence d’un mieux vivre semble plus que légitime dans un pays riche, trop riche. Mais le partage équitable ne fait pas partie de l’ADN du capitalisme, alors changeons de système !
CJ Sud Ouest, 23/02/2019
Le mouvement des GJ «rassemble diverses composantes de ce que le pouvoir nomme la «majorité silencieuse» au nom de laquelle il prétend s’exprimer et dont il n’attend d’autre mobilisation que le vote.» Laurent Bonelli, Le Monde Diplo, janvier 2019
«Un pays pauvre est d’abord un pays qui n’a plus de riches» Nicolas Doze, BFM TV, 05/12/2018