L'incapacité du mouvement antinucléaire de ce pays à réagir à la catastrophe de Fukushima est lourde de sens quant au poids du lobby nucléaire en
France, et à la dégénérescence du mouvement antinucléaire de ces dernières années. L'initiative impulsée par la coordination antinucléaire de l'Ouest de faire du 15 octobre 2011 une journée
nationale pour dire Stop au nucléaire revêt donc une importance particulière pour l'avenir de cette lutte.
L’enjeu des manifestations antinucléaires qui vont se dérouler dans plusieurs villes de France le 15 octobre est double.
Leur réussite d’abord, la mobilisation de plusieurs dizaines de milliers de personnes est primordiale. L’échec ne serait qu'une claque secondaire pour les écolos (et d’ailleurs ces derniers ne souhaitent qu’une réussite modérée) mais elle serait plus importante pour qui pense que c’est dans la rue que se gagnera la bataille du nucléaire, et non au parlement ou dans les urnes.
Ensuite la tonalité des manifestations. Quel message délivreront-elles ? Bien sûr personne n’osera venir avec des banderoles «arrêt progressif, dans 20 ou trente ans» au risque d’être brocardé et de subir même quelques horions bien mérités. Les écologistes vert et/ou roses dont c’est le programme préfèreront sans doute un de ces défilés-enterrements traditionnels, colorés de drapeaux vert et de la récupération du soleil antinucléaire, pour parler énergies renouvelables et suggérer l’échéance de la prochaine présidentielle comme premier pas vers le commencement du coup d'arrêt à porter bientôt…
Mais il pourrait être un autre message émergeant de ces manifestations, celui de l’exigence d’un arrêt immédiat. C’est en tous les cas celui que nous essaierons de porter avec tous les antinucléaires radicaux ou au moins conséquents. C’est que cet «arrêt immédiat» signifie aujourd'hui dans le paysage écolo et antinucléaire actuel, bien autre chose qu’une simple querelle de date. Il est devenu le symbole d’un clivage plus général entre une écologie sociale qui s’insère dans une perspective anticapitaliste et anti-productiviste et les tenants d’un néocapitalisme vert pour lequel les questions énergétiques peuvent servir à relancer une fois encore une économie de marché mal en point.
Il est pourtant très clair, qu’arrêter le nucléaire sera aussi difficile avec la gauche au pouvoir qu’avec la droite.
Pour un arrêt immédiat, définitif et sans condition du nucléaire
Pour nous il donc est déterminant, comme nous le disions au début, que les manifestations du 15 octobre soient un succès et que le message qui en sorte ne soit pas celui des écologistes de gouvernement. Mais ce n’est pas suffisant. Il faudra aussi que si cette présence d’arrêt immédiat est conséquente, qu’elle marque un point de départ vers une véritable re-fondation d’un mouvement antinucléaire. Il ne manque pas de groupes comme «Stop nucléaire» (coordination qui vient de se relancer avec Stop-Nogent), coordination contre la société nucléaire, CRAN, groupes locaux venant de quitter le réseau ou sur le point de le faire qui, pour peu qu’ils désirent se doter d’une perspective politique allant au-delà d’un simple témoignage pourraient participer à la construction d’une phase nouvelle du mouvement antinucléaire.
A cet effet il est prévu qu’à l’issue de la manifestation de Rennes se tienne un forum de discussion sur l’avenir d’un mouvement nucléaire à reconstruire, sur quelles bases et avec qui. Espérons que les circonstances feront qu’il puisse se tenir et qu’il y en ait aussi dans les autres villes qui manifesteront ce jour-là.
Il ne nous paraît pas possible que ce nouveau mouvement se cantonne au strict nucléaire. Car s’il s’agit d’exiger la fermeture de TOUTES les centrales en fonctionnement, ces combats ne sont pas sans liens avec les luttes en cours contre les dévastations sociales et écologiques de cette société énergivore et électrifié de toute part : aéroport à Notre dame des landes, nouvelles lignes TGV, forages de gaz de schiste, électronique généralisée et. Contester le nucléaire demande à coup sûr de combattre cette société capitaliste-productiviste dans son ensemble.
Car le capitalisme s’adaptera comme il s’est toujours adapté aux contraintes rencontrées lors de son histoire et de son développement. Donc il développera les alternatives nécessaires à sa perpétuation : les kilomètres d’éoliennes prévues dans la mer, les millier de kilomètres carrés de photovoltaïque dans le Sahara, et d'autres projets industriels de ce type en sont l'illustration.
Quant à nous il ne s’agit pas non plus d’attendre que le capitalisme miné par ses crises internes ou détruit par un gigantesque mouvement mondial prolétarien s’effondre. C’est dès maintenant que nous voulons arrêter le nucléaire, car c'est ici et maintenant que nous vivons !
Il existe plein de propositions pour réduire la «demande» en commençant ici et maintenant à faire le ménage dans le système productif, en dressant l’inventaire de ce qui est à la fois gourmand en énergie et produisant des choses (biens et services) de peu de valeur d’usage. Nos adversaires nous répondent que c’est impossible, mais c’est faux : il n'est qu'à regarder du côté du Japon, capable du jour au lendemain d'arrêter 80% de sa production électro-nucléaire, soit 43 réacteurs sur les 54 existant en septembre 2011, sans échéance de redémarrage... Combien de Fukushima faudra-t-il pour que les nucléocrates et leurs valets comprennent l'urgence de la situation ?
Extrait de Courant alternatif n° 213, octobre 2011