Le second tour de la présidentielle approchant, on voit les divers courants politiques, syndicaux et associatifs nous servir un remake de celui de 2002, où Chirac affrontait Le Pen père, et celui de 2017, où Macron rencontrait déjà Le Pen fille.
Seulement nous ne sommes plus face au « séisme » de 2002, où personne ne craignait vraiment la qualification de l’extrême droite mais où les défenseurs de la « démocratie » l’agitaient comme un épouvantail sous nos nez pour nous faire courir aux urnes. Nous ne sommes plus non plus en 2017, où Emmanuel Macron pouvait se prétendre l’accoucheur d’un nouveau monde 3.0, alors que Marine Le Pen restait par trop enfermée dans l’héritage sécuritaire et identitaire du Front national. La seconde a aujourd’hui repris à son compte un certain nombre de revendications portées par des gilets jaunes pour engluer dans un discours plus social les perdreaux de la lutte des classes. Et le premier nous a servi son projet politique et « social » : un ruissellement du bas vers le haut, soit l’intensification de l’exploitation du travail, l’exonération de toute redistribution pour les bénéficiaires des revenus du capital, une accentuation du contrôle social par des moyens sanitaires ou militaires, et l’affirmation – tantôt avec sa morgue habituelle, tantôt avec la feinte humilité d’un serviteur du bien commun – de tout et son contraire, selon les circonstances…
A la vérité, les discours d’En marche et du Rassemblement national se sont rapprochés, et le quinquennat macronien a contribué à rendre moins inquiétante la perspective d’un quinquennat lepénien : quand s’installe une fascisation des pratiques et des pensées, le fascisme n’est plus un épouvantail très efficace. D’où la crainte qu’ont certains de voir la mégère soudain déguisée en douce bergère l’emporter cette fois sur le bellâtre moderniste qui s’est avéré un vrai père tape-dur. Invoquer les « valeurs morales » d’un « patrimoine humaniste rempart contre le fascisme » ne devrait pourtant pas suffire à faire oublier la gestion de la société par Macron à qui l’a subie au quotidien. En revanche, le « vote utile » fait en sa faveur le 10 avril par une partie de l’électorat des Républicains et du PS, et dans une moindre mesure des écologistes, montre que cette gestion satisfait une fraction de la population – celle qui en tire avantage : les managers, banquiers, DRH, entrepreneurs de start-up, technocrates de la croissance et de l’environnement, fonctionnaires installés, rentiers et retraités privilégiés. Et c’est grâce à ce vote opportuniste de partisans de la gauche et de la droite réunis au centre que Macron est de nouveau au second tour, car l’ensemble doit bien représenter 10 % des suffrages qu’il a obtenus. Le résultat du premier tour ne traduit donc pas tant une opinion ou un choix politique que la défense de leurs intérêts matériels par tous ceux et celles qui auraient eu quelque chose à perdre avec un duel Mélenchon-Le Pen.
L’impulsion du prétendu « ni gauche ni droite, mais en même temps l’une et l’autre » a été donnée dès avant 2017 : sous Hollande, la social-démocratie était déjà la seconde main droite de la bourgeoisie. Et ce « ni gauche ni droite, mais en même temps l’une et l’autre » a également permis de crédibiliser un RN dont le « ni de droite ni de gauche, mais du peuple ou de la nation » ne faisait jusque-là pas massivement illusion.
Alors que se profile le second show Macron-Le Pen, on réentend les cris d’orfraie poussés par certains « démocrates [1] » ou « radicaux [2] » face à la « menace fasciste » : il est fort peu probable que Le Pen gagne, mais l’inconstance de l’électorat futile peut réserver des surprises – nombre de participant·es aux précédents « votes de barrage » ont juré qu’on ne les y prendrait plus, hein, et l’idée qu’« en votant Marine ça pétera enfin » est émise ici ou là. Et l’extrême gauche tombe une fois de plus dans le piège de l’antifascisme, car son appel à dire « non » à l’extrême droite passe par la réélection du Président sortant dont elle a critiqué l’action pendant cinq ans. Le scénario est si rodé qu’on ne nous propose même plus guère de le faire en se bouchant le nez et en nous promettant un « second tour social »… Mais qu’est-ce qui pourrait bien pousser les révolutionnaires à prendre position dans ce vaudeville bourgeois ?
Si Macron sert la modernisation de l’exploitation dont le capital transnational a besoin, et si Le Pen est historiquement condamnée pour sa crispation sur un capital réduit à une sphère nationale bien illusoire à l’heure de la mondialisation, ils ont l’un et l’autre pour seul programme toujours plus de croissance au profit de qui détient les moyens de production. Renier ses convictions pour inciter à choisir un camp du capital contre l’autre serait donc non seulement aberrant, mais reviendrait à se tirer une nouvelle balle dans le pied. Pour notre part, nous n’appellerons pas à voter pour ou contre Machine ou Truc, mais un élément important sera à prendre en considération : l’importance du nombre de gens qui ne se laisseront pas prendre au piège du vote Macron. C’est un peu ce baromètre qui donnera des indications sur le contenu des luttes à venir et sur l’état de la fracture entre une partie des prolétaires et leurs représentations/institutions, fracture que nous devons contribuer à élargir alors que les « fronts républicains » ou autres tentent de les réduire.
Nous continuerons ainsi de mettre notre énergie et nos moyens en œuvre pour politiser les révoltes, et démystifier les peurs fantasmatiques qui aliènent toujours plus les exploité·es et les dominé·es de cette planète – avec comme objectif une révolution sociale toujours à réinventer.
OCL
14 avril 2022