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9 avril 2012 1 09 /04 /avril /2012 09:45

CA 219En France comme ailleurs, la répression n’est jamais une situation exceptionnelle : elle existe toujours, mais à des degrés divers révélateurs des luttes sociales en cours. D’où l’intérêt de comprendre pourquoi et comment à certains moments l’Etat l’accentue, et cible des catégories sociales ou des milieux militants plutôt que d’autres. Le procès qui va se tenir, à Paris, pour la première fois dans le cadre d’une juridiction antiterroriste concernant des personnes étiquetées « anarcho-autonomes » par des ministres, à grand renfort de médias, éclaire à cet égard fort bien la préoccupation du pouvoir sarkozien au cours de ces dernières années.

En décembre 2011, après trois ans d’instruction, le juge antiterroriste Brunaud a décidé de traiter ensemble quatre dossiers portant sur des faits pourtant distincts dans le lieu et le temps : il convoque à la mi-mai au tribunal correctionnel antiterroriste six personnes qui ont été arrêtées en Ile-de-France en 2008. Ces personnes ont effectué entre quatre et treize mois de détention provisoire, et sont restées ensuite sous contrôle judiciaire (1). Elles sont toutes accusées de « participation à un groupement formé en vue de la préparation d’actes de terrorisme » ; quatre d’entre elles, de « détention et transport de produits incendiaires ou explosifs » ; et trois, de « fabrication d’engins explosif ou incendiaire », « tentative (ou complicité de tentative) de dégradation ou de destruction d’un bien appartenant à autrui », « refus de se soumettre au prélèvement d’ADN et aux prises d’empreintes digitales ».

Quels actes peuvent bien motiver pareils chefs d’inculpation ? se demande-t-on devant un tel énoncé. Réponse : Aucun. C’est l’engagement militant des inculpé-e-s qui a déterminé la répression à leur encontre ; les accusations étant basées sur les intentions qu’on leur prête, on est là avant tout dans le domaine de présupposés alimentés par un fichage politique. En 2010, la loi Estrosi a en effet créé le délit de « participation à une bande ayant l’intention de commettre des violences ou des atteintes aux biens concertées » – notamment « de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou la destruction ou dégradation de biens (2) ». L’« association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste » érige en principe la culpabilité par association : fréquenter les mêmes lieux, lire les mêmes écrits, héberger ou même juste connaître une personne soupçonnée de terrorisme peut donner lieu à des poursuites pour « soutien, apologie et financement en lien avec une entreprise terroriste ».

Un collectif a réalisé plusieurs brochures baptisées Mauvaises intentions (3) pour analyser le dossier d’instruction des six inculpé-e-s et rendre publiques leurs lettres, à côté d’articles parus dans la presse et de réactions suscitées dans certains milieux militants par la répression. Le texte que voici s’appuie très largement sur ses publications.

L’entrée en scène de la dépanneuse

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les Etats occidentaux ont peaufiné leur législation antiterroriste – contre la « menace islamiste » mais pas seulement, car l’idéologie sécuritaire et les dispositifs qu’elle engendre constamment (voir CAnos 215 et 216) ont bien sûr été étendus à d’autres « ennemis intérieurs » pour tenter de détourner les esprits de la « crise » économique, ou plutôt des méfaits du capitalisme.

En France, la jeunesse a été particulièrement visée par les gouvernements successifs, parce qu’il y a eu la révolte des cités en 2005, puis la mobilisation dans les lycées et les universités au cours des années suivantes. D’autant que l’« anti-CPE » de 2006 constitue le seul mouvement à avoir fait reculer le pouvoir depuis les grèves sur les retraites de 1995. Son acharnement à l’égard des nouvelles générations militantes traduit à la fois un désir de revanche et la volonté de casser les solidarités politiques et affectives nées des luttes – menées aujourd’hui sur d’autres terrains que l’éducation. Et comme il fallait donner un nom à cet ennemi, « anarcho-autonome » et autres appellations du même tonneau ont fleuri dans les discours des politicien-ne-s et sous la plume des journalistes après l’accession de Sarkozy à la présidence en 2007.

Le Figaro titre dès le 8 juin de cette année-là : « L’extrême gauche radicale tentée par la violence », mais c’est surtout en 2008 que démarre la grande offensive contre l’« ultra-gauche », présentée pour l’occasion comme la Mouvance anarcho-autonome francilienne (MAAF,voir l’encadré). Ainsi, tout en parlant de « mouvance » (mouvement diffus aux contenus divers), on en fait une « organisation » (entité définie et structurée).

Ivan et Bruno peuvent en témoigner : on fabrique un « terroriste » avec bien peu de choses. Le 19 janvier 2008, ces deux militants sont contrôlés à Fontenay-sous-Bois alors qu’ils se rendent à une manifestation contre les centres de rétention allant au CRA de Vincennes. La police fouille leur véhicule et trouve les ingrédients qui servent à confectionner un fumigène (farine, chlorate de soude et sucre) ainsi que des clous tordus. Leur copain Damien, qui passe alors et les salue, se fait arrêter aussi. Constatant que tous trois sont fichés par les RG, les flics s’emballent : un « expert » de la police scientifique additionne chlorate de soude et sucre plus clous en « oubliant » la farine, et affirme que le mélange envisagé devait servir à réaliser une bombe à clous. Avant qu’une véritable expertise admette à demi-mot que ce mélange n’était pas explosif, et sans doute destiné à produire de la fumée, l’« affaire » d’Ivan et Bruno sera passée à la juridiction antiterroriste… et ils auront fait quatre mois de préventive chacun.

A l’issue d’une garde à vue où ils n’ont rien déclaré et ont refusé prise de photo, d’empreintes et prélèvement d’ADN, Bruno et Ivan sont incarcérés, Damien mis sous contrôle judiciaire. Pour perquisitionner leurs domiciles, la PJ convoque le déminage, la police criminelle, les RG et même la brigade antiterroriste : ce grand jeu n’aboutit qu’à la mise sous scellés d’ordinateurs, appareils photo et écrits divers.

Le 23 janvier, Isa et Farid (surnoms) sont arrêtés par les douanes au péage de Vierzon. Constatant que Farid est fiché, les douaniers fouillent leur voiture et trouvent dans un sac du chlorate de soude, les plans d’une prison pour mineurs en construction téléchargeables sur Internet et des livres sur des techniques de sabotage. Isa et Farid sont aussitôt placés en garde à vue à la Division nationale antiterroriste de Levallois. Farid déclare qu’il ignorait le contenu du sac. Isa explique que le chlorate de soude lui sert à faire des fumigènes, et qu’elle a découvert les plans et les livres dans son appartement, un lieu très passant, et voulait s’en débarrasser.

La brigade antiterroriste arrive sur « décision expresse du parquet antiterroriste de Paris, comme s’ils attendaient que l’occasion se présente, écrira Farid en mai. Il leur suffit de pas grand-chose, voire rien, pour charger le dossier... [Par exemple], ils appellent les pétards des “mélanges oxydants réducteurs pouvant être utilisés comme chargement d’engins explosifs improvisés” ».

L’ADN d’Isa et de Farid est prélevé contre leur gré… et la police affirme que le profil ADN d’Isa correspond à celui d’un cheveu (!) relevé sur un dispositif incendiaire, composé de bouteilles d’essence et d’allume-feu, qui ne s’est pas enflammé mais a été repéré le 2 mai 2007 – donc entre les deux tours de la présidentielle – sous une dépanneuse de police garée devant le commissariat du 18e arrondissement de Paris. Une perquisition chez Farid rapporte aux policiers quelques pétards et tracts de plus… Isa et Farid sont mis en détention préventive à Fleury avec un traitement réservé aux « détenus particulièrement surveillés » (DPS), sous mandat de dépôt criminel pour elle (par périodes renouvelables d’un an), correctionnel pour lui (par périodes de quatre mois).

« Tous deux n’appartenons à aucun groupe politique mais faisons partie de ces gens (…) présents dans la lutte sociale et liés par le mouvement collectif, diront-ils dans une lettre commune. (…) Sans être jugés, sans être condamnés, nous sommes en proie à un  acharnement politique qui s’efforce de fabriquer et de fantasmer au travers de nous l’existence d’un réseau terroriste ultradangereux. »

Comme le souligne L’Envolée n° 22 en février, l’objectif de telles constructions policière et judiciaire est de justifier la répression préventive, et d’isoler les gens arrêtés en inspirant la peur au sein du mouvement contre l’enfermement et contre le traitement que l’Etat applique aux classes populaires et aux étrangers. Car de nombreuses actions ont alors lieu contre les centres de rétention, venant à la fois des retenus et de l’extérieur. Fumigènes, feux d’artifice et autres pétards y sont utilisés « pour dérouter la police et signaler aux retenus (…) l’existence de mobilisations à l’extérieur » ; quant aux clous tordus, ils servent de « crève-pneus que l’on laisse sur la route pour crever les pneus, des voitures de police et des camions cellulaires de préférence ». Mais les médias appuient le discours du pouvoir : Le Parisien du 22 janvier titre « Les anarchistes transportaient une bombe en kit ». Le Monde du 1er février explique que, selon les RG, « on assiste, en France, à la résurgence d’une mouvance, qualifiée pour l’heure d’“anarcho-autonome”, violente, qui prospère sur le terreau des conflits sociaux touchant les jeunes ». Le même jour, la ministre de l’Intérieur Alliot-Marie déclare au Figaro que le « retour du terrorisme d’extrême gauche » est « un phénomène limité mais incontestable », ajoutant : « Le passé nous a montré que la faiblesse des partis politiques extrêmes ouvre souvent la voie aux groupuscules terroristes comme Action directe, les Brigades rouges ou la Fraction armée rouge. L’anticipation est essentielle dans la lutte contre le crime en général et le terrorisme en particulier. »

Les joies de l’anti-« terrorisme »

 L’administration pénitentiaire et les juges essaient de casser les inculpé-e-s par leur régime DPS ou d’autres moyens bien connus : rétention du courrier, parloirs express donnés au compte-gouttes à des proches triés sur leur casier, accès difficile des prévenu-e-s aux activités des prisons ; fréquents transferts qui entraînent une diminution des visites de la famille et de l’avocat, la fin de relations avec d’autres détenus, la perte d’affaires et de courrier.

Et puis il y a les « plus » : le 24 février, Farid est tabassé par des détenus auxquels un maton a fait croire qu’il était d’extrême droite ; il sera transféré à Meaux sur ce prétexte, alors qu’il avait été changé de bâtiment peu après le tabassage. En mars, Bruno va plusieurs fois au mitard parce qu’il demande à être seul en cellule et refuse de réintégrer celle où il est ; il partira en quartier d’isolement à Fresnes. Le 3 avril, Isa ira à la prison ultrasécuritaire de Lille-Sequedin (59) pour avoir envoyé des dessins représentant de « manière plutôt réaliste » les murs qui l’entourent, chose interprétée comme un projet d’évasion. Le 17, Farid sera emmené à Meaux-Chauconin du fait de sa proximité avec les prisonniers basques.

Ce même mois, les deux affaires ayant été regroupées dans un seul dossier sur l’argument que tous les inculpé-e-s appartiendraient à la MAAF et que certains se connaissent, les permis de visite les concernant font l’objet d’un interrogatoire à la section antiterroriste du Quai des Orfèvres. Et, surtout, la police entreprend de ratisser dans leur entourage mais aussi dans son fichier « Anarcho-autonomes » pour trouver à qui appartiennent les quatre ADN masculins qu’elle aurait également recueillis sous la dépanneuse.

Le 21 mai, frère d’Isa, Juan (surnom) est arrêté dans la rue et aussitôt mis en garde à vue au Quai des Orfèvres : la police lui attribue une tentative d’incendie dans un entrepôt de la SNCF pendant le mouvement anti-CPE. On lui prend de force son caleçon pour y prélever de l’ADN. Perquise à son domicile : quelques documents sont saisis. Après 48 heures, il est relâché : son profil ADN ne correspondrait à aucun de ceux trouvés sous la dépanneuse.

Fin mai, Farid est libéré sous contrôle judiciaire à Paris ; de même, le 6 juin, pour Ivan en Normandie et pour Bruno près de Belfort. Obligation de travailler, déplacements limités géographiquement et sur autorisation du juge, pointages divers, interdiction de se voir…

Quelques jours après, la distinction que la loi française établissait entre l'atteinte aux biens et le terrorisme s’efface : dans sa circulaire du 13 juin 2008, la ministre de la Justice Dati assure qu’il y a « une résurgence de faits en lien avec la mouvance anarcho-autonome » et de violences commises « à l’occasion de manifestations de soutien à des prisonniers ou des étrangers en situation irrégulière » ; elle demande aux parquets locaux confrontés à ces faits et à ces violences d’« informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet de Paris pour apprécier de manière concertée l’opportunité d'un dessaisissement à son profit ».

Le 20, Juan, de nouveau arrêté, est inculpé : lors de sa précédente garde à vue, les flics auraient aussi prélevé son ADN sur un gobelet, et ce profil ADN-là correspondrait à l’une des traces relevées sous la dépanneuse. Incarcéré sous mandat de dépôt criminel, il écrira en octobre, depuis la prison de Rouen : « Cette histoire de tentative d’incendie est loin d’être l’affaire du siècle. Et si le pouvoir, relayé par les médias, l’a gonflée au maximum, ce n’est pas que l’Etat craignait de ne pouvoir se relever de ce coup. Malheureusement, il faudra plus qu’un incendie – même réussi – pour mettre vraiment en danger le système. Si l’Etat est attentif et soucieux de ces “menaces” politiques et que cet affront devait être puni, il en a surtout profité pour faire de cette affaire un exemple, répondre à la contestation sociale, et remettre à jour quelques fichiers de renseignements et bases de données policières. »

Le 5 juillet, Bruno se soustrait au contrôle judiciaire et s’en explique dans une lettre : « J’ai eu, pendant le mois où je suis resté en contrôle judiciaire, la désagréable sensation (…) d’assister à ma propre mort en tant que sujet politique. En acceptant leurs règles du jeu, c’est comme si je signais ma propre soumission, ma reddition en tant que révolté, même si parfois nous pensons qu’il est possible de se dire “Je joue le jeu un moment et après je serai tranquille” ou alors “Je joue le jeu en façade”. (…) Je me suis senti dépossédé du comment je lutte pour une transformation radicale des espaces où nous vivons, et contre la médiation capitaliste de nos vies. (…) Il ne me restait comme marge de manœuvre que l’illégalité, la clandestinité et la fuite. »

Les punitions continuent de tomber durant ce mois-là sur les prévenu-e-s : Isa est envoyée au mitard pour avoir pris part à un mouvement de prisonnières qu’a suscité le tabassage de l’une d’elles par des matons ; Juan pour avoir refusé de regagner sa cellule surpeuplée…

Et, pendant ce temps, la répression continue de sévir contre les mêmes milieux militants. Le 29 juillet, G. est ainsi interpellé par l’antiterrorisme. Sitôt en garde à vue, on veut son ADN au motif qu’il a été, par le passé, arrêté deux fois avec Juan. G. refuse. On lui ouvre la bouche de force pour lui prendre un peu de salive. Suit la perquisition d’un appartement : les flics repartent avec tracts et brochures ; puis, en menaçant de ne pas relâcher G. sinon, ils font venir au Quai des Orfèvres les trois personnes qui étaient présentes lors de la perquise. G. sera libéré : son profil ADN ne correspondrait pas à ceux de la dépanneuse.

Le 14 août, Damien est convoqué par la juge Houyvet. Elle a fait effectuer des prélèvements d’ADN sur les vêtements qui avaient été mis sous scellés lors de sa garde à vue de janvier, et une trace ADN correspondrait à l’un des « ADN dépanneuse ». Avant la remise en détention de Damien, elle lui redemande son ADN. Il refuse, et, comme Juan et Isa, il nie tout ce dont il est accusé.

Le 22, Ivan et Farid sont convoqués chez la même juge pour violation de leur contrôle judiciaire, une photo des RG les montrant ensemble dans une manif ; finalement, ils ne sont pas réincarcérés mais leur contrôle est renforcé.

L’affaire de Tarnac, en octobre et novembre, accentue l’offensive anti-« terroriste » : avant même l’audition des personnes arrêtées parce que soupçonnées d’avoir entravé la circulation des TGV en s’attaquant à leur alimentation électrique, MAM affirme à la presse qu’elles « ont été vues dans des lieux proches des lieux de sabotage, à des heures pouvant correspondre », et que la police dispose de « suffisamment d’éléments réunis pour procéder à cette opération ». Après quoi, fin 2009, ce sont les dégradations de distributeurs automatiques de billets qui alimenteront le discours officiel sur le danger « anarcho-autonome ».

La nécessité d’élargir la solidarité

Juan écrivait, en mai 2008 : « Nous [Isa, Damien et lui] nions notre implication dans cette tentative d’incendie [de la dépanneuse]. Mais en vérité c’est un détail. D’abord parce que face à la supposée irréfutabilité de la preuve par l’ADN des scientifiques, il est difficile d’expliquer la présence de poils qu’on a pu éventuellement semer, si tant est que ce soient les nôtres ! Ensuite parce que la Justice donne peu d’importance à ce qu’on a à dire. Elle n’a pas besoin de toi pour te juger. (…) Si tu as le profil, et il peut suffire d’une garde à vue, de la participation à une manif ou d’opinions affichées, [tu es] condamné. (…) En ce sens, la Justice ne s’est sans doute pas trompée. Je crois bien avoir le profil recherché. Non pas celui d’un fanatique qui veut semer la terreur dans la population pour arriver à ses fins – c’est plutôt l’apanage des gouvernements, qu’ils soient despotiques ou démocratiques –, mais plutôt celui d’un révolté parmi les autres. »

Pour sa part, Mauvaises intentions expliquait dans son n° 2, en janvier 2009 : « Ce qu’on a choisi de dire, c’est que les actes dont sont accusés les camarades ont un sens, un contexte, qu’ils participent de révoltes. (…) C’est clairement le fait de vouloir s’en prendre au système capitaliste qui est aujourd’hui condamnable. (…) Parce que d’une répression “spécifique” surgissent des questions plus larges qui touchent tout un chacun, l’aspect défensif de l’antirépression doit s’allier à d’autres batailles. (…) Aussi, nous avons fait le choix de parler de la répression au sein des luttes, et non de la penser comme un moment séparé du reste. »

Cependant, le collectif précisait, concernant la solidarité recherchée : « On a parlé de ces arrestations dans des espaces de discussion qui nous sont proches, avec l’idée de les faire exister dans des assemblées de lutte, des lieux où on s’organise politiquement. » Or, pour gagner en efficacité, la solidarité devrait selon nous être beaucoup plus large.

Certes, au fil des épisodes répressifs, d’innombrables débats importants ont surgi dans ces milieux proches des inculpé-e-s : sur le positionnement à avoir en cas d’arrestation (ni innocents ni coupables ? nier avoir commis un acte, mais en revendiquer le contenu politique ?…) ; sur l’organisation du soutien (quelle attitude par rapport aux médias, à ce qui existe hors des milieux impliqués…) ; sur la fonction de la politique sécuritaire ; sur le recours systématique à l’ADN, avec sa pseudo-objectivité scientifique, pour accuser une personne mise en examen… Et, étant donné ses implications, la notion de terrorisme a été particulièrement analysée. L’antiterrorisme, constatait L’Envolée n° 23, « sert à amalgamer des projets, des actes radicalement différents, et permet de renvoyer dos à dos ce qui est appelé les “réseaux islamistes”, les “mouvements nationalistes” et la “mouvance anarcho-autonome”, alors que chacune de ces dénominations fourre-tout recouvre toutes sortes de projets bien distincts, d’analyses et de démarches différentes. Sans oublier que cet amalgame permet de faire passer les luttes sociales et le sabotage pour des actes dits “terroristes” ». De plus, l’antiterrorisme « participe au durcissement général du système judiciaire, puisque toujours plus de comportements deviennent des délits, des délits deviennent des crimes et les peines s’allongent ».

Autant d’analyses pertinentes ; mais justement, face aux formidables moyens de coercition mis en œuvre aujourd’hui, face à une répression qui systématise le fichage et marginalise des personnes comme des groupes, élargir la solidarité nous paraît de la première urgence. Car, tout étant question de rapport de forces dans le système, mieux vaut s’efforcer toujours de globaliser et de mettre en relation les luttes existant, pour ne pas courir le risque de se laisser enfermer dans des petits cercles politico-affectifs comme dans une confrontation en tête à tête avec l’Etat – autant de pièges dans lesquels on ne peut que se perdre en ayant tout à perdre.

Vanina

1. Avec pour la plupart interdiction d’entrer en contact et de sortir du territoire français sans autorisation, pointage mensuel au commissariat ou au tribunal ainsi que suivi par un contrôleur judiciaire tous les mois ou tous les trois mois, pour notamment justifier de leurs activités professionnelles.

2. Dissimuler son visage lors d’un « attroupement armé » est une circonstance aggravante ; et les dispositions réprimant la participation à cet attroupement sont étendues aux personnes qui y vont « en connaissance de cause, même si elles-mêmes ne sont pas armées ».

3. Ces brochures sont téléchargeables (infokiosques.net).

 

ANALYSE D’UNE INSTRUCTION ANTITERRORISTE

En mai 2010, les inculpé-e-s de Paris ont rendu public et commenté le dossier d’instruction. A côté d’incohérences plus ou moins voulues et de recherches pouvant sembler absurdes au premier regard (comme les pages de renseignements que suscite à son sujet un autocollant de Georges Ibrahim Abdallah sur le frigo d’un lieu perquisitionné), les enquêtes portent au moins autant sur des profils (à partir d’expertises psychologiques et psychiatriques, d’interrogatoires de parents…) que sur les faits reprochés. On y note la volonté d’établir des liens entre des personnes et entre des groupes (en relevant, lors des perquisitions, des ADN inconnus pour les ficher dans l’attente de les comparer), et un très petit nombre d’informations « de première main » (la plupart des éléments provenant du recoupement d’informations policières et administratives).

La « mouvance anarcho-autonome francilienne » (MAAF) est présentée, en février 2008, comme un noyau d’« une cinquantaine d’individus âgés de 20 à 30 ans, d’origine européenne pour la quasi-totalité, auxquelles s’agrègent selon les circonstances 150 à 200 personnes, membres de diverses organisations libertaires. Leur thème fédérateur est “la haine de l’Etat bourgeois, du capitalisme et de ses appareils”. Ce rejet s’exprime par des actions concertées à l’encontre des forces de l’ordre et des symboles du capitalisme (…) préparées par les intéressés lors de rencontres dans des squats, à la fois lieux de vie, de réunion et de passage. Depuis début 2007, on constate en Ile-de-France une radicalisation de la mouvance anarcho-autonome francilienne. Deux raisons expliquent cette évolution : l’apparition d’une nouvelle génération née du conflit anti-CPE de 2006, et le contexte électoral, un certain nombre de ces jeunes ayant éprouvé une véritable aversion à l’encontre du candidat de l’UMP (…) ».

Le regroupement des affaires est justifié par : « L’ensemble des mis en examen (…) appartenaient tous à des groupes qui avaient multiplié, depuis plusieurs mois, en région parisienne et en province, des actions violentes dirigées contre l’Etat, ses institutions et ses représentants (…). [Ainsi] l’entente est-elle tout d’abord démontrée par les liens pérennes qu’ont développés les prévenus (…) entre eux depuis de nombreuses années (…). Dès la fin de l’année 2005 et le début de l’année 2006, des relations d’amitié sont établies (…). L’entente dans ce dossier est aussi caractérisée par des idées communes à tous les mis en examen qui revendiquent les mêmes convictions contre les institutions et les pouvoirs régaliens de l’Etat : politiques carcérales, législation antiterroriste, centres de rétention et expulsions, enfermement des mineurs, fichage génétique ou papillaire, actions des forces de l’ordre. » Véhiculées par des « médias spécifiques, Indymedia, recueil Mauvaises intentions, et au cours de semaines d’actions contestataires thématiques (…) », ces idées «ne sont évidemment ni contestables, dans le cadre de l’exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux garantis par l’Etat, ni répréhensibles pénalement sauf lorsqu’elles visent à déstabiliser l’Etat et ses institutions (…), ce qui sera le cas, au cours des années 2006 et 2007 et notamment dans le présent dossier». Ces actions sont caractérisées par plusieurs faits matériels, « mais également par les textes radicaux, découverts en perquisition, sur des organisations terroristes avérées et/ou liés à la contestation violente, un soutien à des militants de mouvements terroristes reconnus (Action directe), la découverte de livres permettant la fabrication d’engins explosifs démontrant un réel ancrage dans la violence ».

En conclusion, il s’agit d’une «association de malfaiteurs terroriste» : «Pour que l’infraction terroriste soit constituée, il suffit en effet que l’affilié à l’entente connaisse, même dans ses grandes lignes, le dessein du groupe litigieux et qu’il y ait adhéré volontairement, en connaissance de ses buts et en se munissant de moyens lui permettant d’y apporter ultérieurement son concours, quel que soit sa fonction occupée ou son rôle, permanent ou occasionnel, et même si au moment de son arrestation il n’avait encore été mêlé à aucune des infractions commises par les autres membres de l’association.»

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